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Longtemps le développement s'est résumé à une entreprise de transfert massif de savoirs, d'instruments mais aussi de ressources symboliques et culturelles en provenance de l'Occident. Se développer, et donc changer, signifiait alors simplement s'occidentaliser. La question des finalités et du sens était évacuée. Changer de notre coté revenait à faire sortir des obscurantismes et à éduquer pour permettre aux autres de devenir comme soi. Pour ces autres, changer revenait essentiellement à "devenir comme eux", à rentrer dans le modèle proposé de l'extérieur et à trouver des raisons de s’y épanouir.

 

En dépit des apparences, une telle position a encore largement droit de cité aujourd'hui, sans doute même n'a-t-elle jamais été vraiment écartée du référentiel du développement. Pourtant, dès les années 1980, une alternative qui se voulait radicale, a émergé et a fini par s'installer de plein droit dans le concert des idées, celle qui consiste à penser le développement, et donc implicitement le changement, au départ de l'histoire et des réalités locales ou nationales. Le changement est alors perçu comme venant de l'intérieur. C'est ainsi que promouvoir les initiatives et les innovations locales est devenu un nouveau leitmotiv et le cadre de référence naturel pour un nombre grandissant de programmes. Cette position allait de pair avec le souci majeur de la participation de tous et de toutes aux efforts de développement. A ce jour, en dépit d’efforts régulièrement remarquables, elle n’a cependant pas encore été valorisée au mieux de son potentiel.

 

Quelle que soit la position adoptée, la notion même du changement, le sens même d'une telle perspective en dehors de la sphère occidentale, et donc dans le monde du développement, n'a guère fait l'objet d'investigations. Une sorte de consensus implicite s'est généralisé pour réduire la question du changement aux questions de formes et de situations matérielles, sous le thème générique du changement matériel ou de l'amélioration des conditions de vie, avec deux finalités qui se veulent autosuffisantes, le progrès par et dans les technologies d'une part, le changement économique assimilé à la croissance d'autre part. Comme si le changement technologique, c'est-à-dire les instruments et les techniques pour les mettre en œuvre, épuisait à lui eux seuls toutes les dimensions du défi. Comme si la croissance économique éprouvée à hauteur du produit intérieur brut suffisait en elle-même pour régler toutes les autres questions.

 

Récemment, le concept de développement humain durable s'est invité pour pousser à l'avant plan les changements attendus dans les sphères sociales et politiques. C'est ainsi que les droits humains, souvent transposés dans des champs concrets, la santé, l'éducation, la sécurité, la dignité,… ont été promus au rang d'indicateurs décisifs. C'est certainement un progrès mais en même temps on doit se demander si ce repli sur le développement humain durable ne relance pas implicitement la perspective du changement qui vient de l’extérieur sous la forme de droits et valeurs qui seraient par essence universelles, donc bonnes, justes et désirables pour tous et chacun quelle que soit son origine, son histoire, sa position.

La position classique:
le changement comme idéal pré-défini
Notre position : le changement entre idéal et procès

Fondamentalement, la question du changement nous semble reposer sur un double quiproquo inscrit dans le concept même de changement.

 

Le premier concerne la nature même du changement : il consiste à confondre, d’une part, le fait de faire autrement la « même chose » – toujours plus ou différemment – avec, d’autre part, celui de faire radicalement « autre chose ». Comme si le fait d’élire les chefs par les urnes transformait de facto la nature autoritaire et verticale d’un régime politique. Comme si faire soigneusement le tri de ses déchets signifiait forcément qu’on passe à un tout autre mode de vie ou de consommation. Le changement dans les formes, dans les manières de faire ou de parler ne mène en aucune manière en ligne droite à une transformation du système.

 

Le second quiproquo se réfère au fonctionnement du changement. Dans les traditions occidentales, il n'est question que des issues du changement qu’on apprécie le plus souvent en termes de résultats ou d’impacts, alors qu’ailleurs, par exemple dans les traditions asiatiques, on pense le changement avant tout comme un passage ou un processus, c’est-à-dire comme des transformations en train de se faire, sans a priori définitif sur ce qui faudrait qui soit. Dans le premier cas, c’est la destination qui importe, dans le second c’est le voyage, le fait même d’être en mouvement vers quelque part..

 

Les efforts déployés depuis près de 50 ans sous l'étendard du changement, pour l’essentiel n'ont rien fait d'autre que de s'efforcer de faire autrement la même chose tout en se focalisant sur des résultats et impacts prédéterminés, attendus, projetés en "visions" sans chercher à comprendre comment fonctionne le changement à l'intérieur des sociétés. Sans chercher à comprendre, de l'intérieur, ce qui fait l'homme et surtout ce qui fait l'homme en société.

Certes les formes et les conditions du "vivre ensemble" ont changé (la démographie, l'urbanisation, l'économie, les diverses révolutions technologiques,…) mais ni les fondements, ni les rationalités, c'est-à-dire ni les manières de comprendre, ni davantage celles de construire le sens n'évoluent.

 

Or, selon nous, c'est là que pourrait résider le sens profond d'une perspective de développement tiré par le changement. Pour notre part, nous n'envisageons le changement qu'à la lumière de son fonctionnement, en investissant les imaginaires, les représentations et tout ce qui leur donne de la force dans la vie quotidienne et dans les mentalités. Ceci sans nécessairement faire rupture avec l'ancien, mais en favorisant la rencontre, la reconnaissance consciente entre l'ancien et le nouveau. C'est pourquoi, s'agissant du développement, Inter-Mondes Belgique travaille à hauteur des mécanismes qui fonctionnent au cœur des sociétés, précisément ces mécanismes qui maintiennent ou amplifient les phénomènes ou problèmes sur lesquels portent les efforts des développeurs.

 

Cette perspective mobilise inévitablement la dimension culturelle. Pour nous, la culture correspond au stock d’impensés sur lesquels, dans une société particulière, on s’appuie pour vivre concrètement en société et pour donner sens à son existence parmi les siens et les autres. Toute action qui vise le changement doit nécessairement, d’une manière ou d’une autre, remettre au travail la pensée – « sa » pensée et celle des siens autour de soi – sur ce qui n’est justement plus pensé (ses croyances, tout ce qu’on tient pour « naturel » ou « normal »)

Un tel travail ne peut se faire qu’au départ de situations concrètes, vécues dans toute leur sensibilité, des situations qui sont source de souffrances ou de préoccupations. En recherchant d’où les problèmes proviennent, comment ils génèrent leur nuisance, comment tous et chacun contribuent à leur fabrication et à leur durabilité, on peut mettre en lumière, progressivement, les impensés et les mécanismes qui leur donnent la force de nuire. C’est là que le potentiel de changement se déploie. C'est là aussi que l'approche orientée changement devient particulièrement pertinente.

Notre stratégie : le coup double

Notre stratégie se résume en une expression unique désormais banale à Inter-Mondes : faire coup double. C'est-à-dire partir de l'activité et des situations concrètes pour réinvestir avec des questions qui interpellent, l’imaginaire et donc les croyances et représentations sur lesquelles sa société fonctionne. Tous les champs d'action, quels qu'ils soient, sectoriel ou général, social, économique, politique, environnemental, artistique, sportif,… offrent la possibilité de travailler directement sur les impensés ou les mécanismes qu’on soupçonne d’être à l’origine de ce qui motive l’action.

 

Ainsi, assez paradoxalement, les champs d'activité les plus techniques, tels que la lutte antiérosive, la multiplication végétative des essences fruitières, la lutte contre le sida, la nutrition des nourrissons, le creusement de points d’eau, les tontines ou la microfinance, etc. se prêtent particulièrement bien pour attaquer des questions sociales ou politiques,  en vue de soutenir ou déclencher du changement social et politique. Pourquoi ? Simplement parce que la nécessité opérationnelle d'une action exige qu’on aborde des questions sociales ou politiques. En effet, comment mener la lutte antiérosive, à petite ou grande échelle, sans décision sur l'usage de l'espace, sans négociation entre acteurs porteurs d'enjeux contradictoires, sans production de règles et de normes en rapport avec les aménagements… ? Comment reboiser, même avec des fruitiers, sans affronter les questions foncières, et donc immanquablement en adressant frontalement des questions de décision, de prise d'initiatives, de négociation … ? Même la nutrition des nourrissons, pourtant à première vue loin de toute perspective socio-politique, exige en réalité, pour réussir, de s’intéresser à la famille, simplement parce qu’elle affecte immédiatement les relations entre époux, ou entre coépouses vivant dans une même concession.

Ce constat d’une liaison étroite – et inévitable – entre les sphères technique, sociale, politique et culturelle nous a conduits, en dépit de la complexité, à envisager que le changement puisse être efficacement et proprement investi à partir de 4 entrées – quatre domaines du changement – et de 6 maitrises – six leviers pour déclencher du changement. Les 4 entrées se réfèrent au langage, à la pensée, à l’activité et aux pratiques (parmi lesquels les comportement) et aux arrangements (par exemple organisationnels ou institutionnels). Les 6 maitrises que nous privilégions sont les suivantes : maîtrise de la réflexion (penser, concevoir, analyser efficacement), maîtrise de la régulation (produire les règles et les normes), maîtrise des initiatives (entreprendre, créer, innover), maitrise des ressources (mobiliser, réunir, organiser), maîtrise de la décision (concevoir, prendre, contrôler, évaluer et faire évoluer des décisions) et maîtrise de la négociation.

Nous développons cette approche dans des lieux et dans des domaines très divers. Actuellement, nos chantiers les plus mobilisant se situent en différents endroits :

 

  • En France, en lien avec différentes ONG françaises soucieuses de leur rapport à l'impact et au changement (séminaires annuels ou autres formes d'appuis) ;

  • En Belgique, avec la principale fédération d'économie sociale et solidaire (SAW-B); avec la fédération laïque des Centres de Planning Familial (FLCPF) ou encore avec d'autres acteurs sociaux ;

  • Madagascar avec un accompagnement de divers réseaux de la société civile (BIMTT, mouvement ROHY, Coalition des radios, programme Dinika...) ;

  • Au Tchad en complicité avec l’ONG BASE où on investit la possibilité d’articuler changement dans les systèmes de santé et changement à hauteur des sociétés locales ;

  • Au Sénégal, avec le réseau ENDA TM dans la perspective de mettre au point un dispositif de suivi évaluation du changement profond.

Pour aller plus en profondeur :

Le changement Sociétal : Qu'est-ce que c'est ?

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