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Economie

Notre position

Notre stratégie

La position classique

 

La position classique se définit, dans sa version la plus courante, comme la « bonne gestion des biens », dans un certain rejet de tout ce qui fonde les liens entre personnes (et qui concerne les sciences humaines). Tout se passe comme si l’économie est pensée pour éviter d’avoir à se soucier de l’individu (le psychologique ?), des interrelations entre individus (le social), entre humains (l’ethnologie) et dès lors  consacre l’évacuation du politique.

L’économie est ainsi régulièrement présentée comme une science exacte aux lois de laquelle il conviendrait de se soumettre. Il est alors entendu que les experts ont la parole et que les agents économiques – producteurs, consommateurs, régulateurs – sont appelés à suivre leurs analyses, diagnostics et propositions. Ainsi, un des premiers piliers de l’économie classique consiste à consacrer une séparation nette entre les profanes et les spécialistes de sorte qu’il soit normal que la conduite de l’économie échappe à ceux et celles qui lui donnent vie quotidiennement et soit confiée à ceux à qui on reconnaît la compétence de l’investiguer scientifiquement.

L’économie, dans sa version la plus populaire, est une affaire de marchés où des offres croiseraient des demandes tentant de s’ajuster les unes aux autres en vue d’établir un prix d’équilibre. Dans cette perspective, l’activité économique est ultimement motivée par la quête d’un profit ou d’une valeur ajouté financière, c’est-à-dire un surplus qui est classiquement déclaré incarner la juste rémunération d’entrepreneurs performants. Une grande part de la créativité économique est investie pour dégager un tel surplus qu’on appelle parfois plus-value. Dans le sillage de cette perspective, les partisans du néolibéralisme affirment que les marchés se réguleraient plus ou moins spontanément, consacrant ici les mérites et avantages des uns et sanctionnant là-bas l’inefficacité des autres appelés à s’ajuster au risque de disparaître.

L’habitude est prise depuis longtemps de distinguer l’économie des ménages et des entreprises de celle des Etats. Certains soulignent cette distinction en parlant de microéconomie d’une part, celle qui appréhende les dynamiques principalement à l’échelle des unités économiques, et d’autre part de macroéconomie dont la vocation serait d’investiguer en quoi ces multiples unités forment ensemble un système et en quoi leurs interactions et leurs conséquences devraient être prises en considération pour comprendre – et établir – les politiques fiscales, financières et économiques. En la matière, l’idée la plus commune est celle des Etats dont la vocation, du moins dans le champ de l’économie, serait essentiellement de garantir l’efficacité de la compétition entre les entreprises, la généralisation du libre-échange (entendu comme la liberté de circulation des capitaux, des biens, des marchandises et des instances ou personnes fortunées) en plus d’investir les moyens nécessaires pour créer les conditions matérielles et immatérielles de l’efficacité économique (par exemple à travers la réalisation des infrastructures, des régulations ou des politiques publiques favorables à l’initiative privée des investisseurs). Depuis quelques décennies, chacun à présent en est convaincu, l’action économique des Etats consiste pour l’essentiel à rendre supportable l’austérité que leurs politiques décrètent tout en garantissant la compétitivité des entreprises en activité sur leur territoire.

Classiquement aussi, les Etats sont régulièrement appréhendés, soit comme autant d’entreprises aux prises avec des marchés sur lesquels les services qu’ils offrent se retrouvent en compétition avec ceux que proposent des entreprises privées, soit comme des ménages qui consomment sur des marchés. Dans ce dernier cas, on s’accorde à ce que les Etats gèrent les deniers publics « en bon père de famille » et en particulier qu’ils ne contractent pas de dette, ou alors le moins possible, et qu’en tout état de cause ils les remboursent avec une régularité sans faille. Sous cette lumière, la dette publique est considérée comme un fléau qu’il faut combattre à tout prix. L’Etat idéal serait celui qui ne doit rien à personne, dont le budget serait en équilibre parfait bon an mal an. Il est alors entendu que la dette, quelle soit privée ou publique, n’est pas souhaitable, sauf dans le cas d’investissements rentables, de préférence à court terme.

L’économie ne peut être investie sans considérer ce qui nous lie en tant qu’être humain aux autres humains et à l’environnement qui nous accueille. L’économie est dès lors forcément politique, c’est à dire soucieuse des façons dont les humains organisent le vivre ensemble, décident de décider et fondent les règles et normes entre différents et différends.

La biosphère, la vie de notre planète, particulièrement depuis qu’il est devenu indiscutable que l’une et l’autre sont menacées, siègent au cœur de toute activité économique et a fortiori au cœur de toute économie, quelle que soit l’échelle considérée. Parler d’économie revient alors rapidement de facto à parler de là où on vit, du cadre environnemental qui nous accueille, de ce qu’on y fait et surtout de ce qu’on en fait. Le soin aux cadres de vie, à leur beauté, aux dynamiques végétales, animales et géologiques qui les fondent, à leurs évolution et avenir, devient une préoccupation cardinale, sinon un préalable à toute réflexion économique. Toute activité humaine, donc économique, prend place quelque part, s’étend et affecte nécessairement les territoires qu’elle investit. Car la vie économique n’est rien de plus que la vie des territoires et de ceux ou celles qui y séjournent, y travaillent, s'y investissent, quel que soit l’angle considéré (social, politique, environnemental, culturel,…).

 

Ce principe de base étant posé, pour nous, l’économie ne prend sens que si elle se saisit simultanément de ses trois fonctions, produire, accumuler et redistribuer. Il en résulte qu’au départ de toute initiative ou activité de nature économique, on retrouve ces mêmes questions : qui produit quoi, de quelle manière, au profit et aux dépens de qui ou de quoi, qui accumule quoi, de quelle manière, au profit et aux dépens de qui ou de quoi, qui redistribue quoi, de quelle manière, au profit et aux dépens de qui ou de quoi ? C’est ce qui nous conduit à défendre l’idée que l’économie est, par nature, primordialement sociale et politique. Toute économie est foncièrement – nécessairement – sociale. Il n’existe donc pas, d’un côté, une économie qui serait sociale par vocation ou par ambition et, de l’autre, une économie qui serait financière ou productive. En somme, l’économie – et la pensée économique – contemporaine se sont à ce point égarées de leur cadre normal qu’on est à présent obligé de parler d’économie dite sociale pour se faire comprendre.

 

La pensée économique repose entièrement sur un patrimoine de croyances implicites – des impensés – de sorte que la première démarche à entreprendre pour qui veut comprendre la vie économique consiste à débusquer ces impensés et à les interpeller. Par exemple, est-il vraiment raisonnable de croire que nous vivons dans la rareté ? Pourquoi croyons-nous qu’il ne pourrait y avoir de bien-être sans croissance ? Qu’est-ce qui nous pousse à penser tout avantage en termes de prix et de gains ? D’où cela nous vient-il ? En quoi cela nous influence-t-il, probablement à notre insu ?

 

S’agissant d’économie, la question centrale concerne l’utilité de ce qui est mis en jeu dans l’activité – et les activités – humaines, une utilité questionnée simultanément à deux niveaux, d’une part l’utilité pour les individus et, d’autre part, l‘utilité pour la société. C’est ce qui nous amène à parler d’utilité générale ajoutée en lieu et place de la classique valeur ajoutée financière. Bien entendu, nous sommes alors d’avis que le prix ne reflète jamais vraiment – et souvent pas du tout – l’utilité individuelle ou sociétale. Dès lors que le calcul économique n’envisage que les seuls valeurs ou coûts financiers, il fait perdre de vue qu’en matière d’économie tout n’est en dernier ressort qu'une affaire de pures conventions. Paradoxalement le calcul économique réduit aux seuls coûts ou valeurs égare la pensée économie en dehors du champ économique.

 

A nos yeux, à l’heure actuelle, il y a un enjeu majeur à refonder les bases sur lesquelles on raisonne l’économie et surtout sur la façon de la relier à nos actes, pensées, comportements et sentiments. Le grand défi consiste à replacer l’économie au service de l’action sociale et de l’action politique. Car toute action sur l’économie affecte la vie sociale et politique, et vice versa.

Notre stratégie part de la nécessité de réinsérer de l’empirisme (la confrontation avec le contexte, les situations, le vécu) et de la réflexivité (la confrontation à soi) dans l’économie.

Le point de départ de tout renouveau en matière d’économie consiste à relancer la réflexion – et l’intelligence – collectives, faire le pari que la possibilité de questionner les fondements de l’économie dont nous dépendons et qui dépend de nous puisse ne pas relever de l’analyse, des conceptions, des positions des seuls économistes. L’économie est un bien commun et à ce titre elle concerne tout le monde autant que tout le monde doit se sentir concerné par elle. Promouvoir le questionnement et dès lors la mise en question des postulats implicites sur lesquels repose le système qui domine aujourd’hui est une nécessité pour « réinitialiser » l’imagination et la créativité économique.

 

Nous cherchons particulièrement à porter la question – et dans la foulée l’expérimentation créative – sur des cibles fondamentales. En effet, trop d’alternatives économiques, pourtant originales et généreuses, sont à tout moment menacées d’être embrigadées au service de l’économie dominante, de lui redonner ainsi une nouvelle jeunesse. C’est ce que nous appelons des alternatives dérisoires, c’est-à-dire des alternatives qui créent l’illusion de proposer autre chose alors qu’en réalité elles ne promeuvent rien d’autre que des variantes de ce qui les domine et qu’elles veulent changer. Elles deviennent, souvent à leur insu et à leur corps défendant, les meilleurs alliés de ce qu’elles combattent.

 

Pour s’épargner cette dérive, il est nécessaire de s’attaquer aux fondements de ce qui donne la force au système économique contemporain d’inspiration néolibérale. Nous pensons tout spécialement à certains d’entre eux qui se présentent à nos yeux comme autant de chantiers primordiaux : (i) la monnaie et l’argent, (ii) la création de la valeur et le rapport à la dette, (iii) la propriété privée et la transmission des patrimoines d’une génération à l’autre, (iv) la production des valeurs, des normes et des règles, ce que nous appelons souvent « régulation » et (v) la subjectivité, en particulier la fabrication du sentiment de soi, de son autonomie en société, l'illusion de son autosuffisance. Ce sont véritablement des chantiers ouverts au sens où dans ces domaines rien n’est définitivement dit, tout est sans doute à repenser.

 

Concrètement, nous pensons que toutes les initiatives économiques, quelles qu’elles soient, quelle que soit leur ampleur, leur domaine, leur dynamique, même apparemment les plus conventionnelles, offrent des opportunités formidables pour ouvrir l’un ou l’autre de ces chantiers et relancer la réflexion et les controverses sur des situations vécues concrètement. C’est ce que nous appelons la « stratégie du coup double » : s’attaquer à des situations, problèmes ou défis économiques concrets (premier coup) mais en même temps qu’on s’y attaque, prendre explicitement pour cible l’un ou l’autre de ces chantiers et en faire une expérimentation (second coup). C’est ainsi que les alternatives, en devenant une sorte de laboratoire échappent à la dérision.

 

Le cinquième chantier, sa subjectivité, c’est-à-dire en langage simple, ce qui fonde sa personne, est crucial : car nous sommes en partie ce que nous combattons. Nous sommes tous et chacun, hommes et femmes, partie prenante dans ce que nous dénonçons ou combattons. Nous sommes nous-mêmes l’économie que nous voulons terrasser, elle est en nous et nous en sommes des constituants actifs. Comme nous l’avons écrit par ailleurs en long et en large, nous sommes le capitalisme que nous déclarons combattre ! Il est en nous, il nous constitue autant que nous le constituons.

 

Pour transformer son économie, en se donnant quelques chances de ne pas la reproduire, il faut s’attaquer en même temps à tout ce qui la configure et lui donne sa force, c’est-à-dire le langage économique, les pratiques économiques, la rationalité économique et les arrangements tant organisationnels qu’institutionnels. En pratique, cela veut dire que, d’une manière ou d’une autre, il faut composer avec les situations qui se présentent. Pour y parvenir, efficacement, nous conseillons vivement que chaque structure, chaque opérateur se dote de ce que nous appelons un « référentiel économique », c’est-à-dire une boussole qui tient en une ou deux pages et qui explicite avec des mots simples les aspects qu’on se propose précisément de combattre en référence avec l’un ou l’autre chantier cité ci-dessus, ou un autre que chemin faisant on aurait découvert et confirmé pour sa pertinence.

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